2022-12-28 00:00:00

Grand déplacement BTP et cas du salarié rentrant chez lui

Le grand déplacement implique souvent la réalisation de chantiers très éloignés du siège de l’entreprise et du domicile des salariés. Il reste que, selon le lieu, un salarié peut en pratique faire l’aller-retour entre le chantier et son domicile à la fin de chaque journée de travail. Quelles en sont les conséquences en matière d’indemnisation des frais ?

Une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation, le 15 septembre 2021 (n° 20–10. 907) est venue bouleverser la notion en précisant qu'un salarié se trouvant en situation de grands déplacements peut prétendre, même s'il choisit de regagner son domicile le soir, à l'indemnité forfaitaire de grand déplacement.

I. La définition du grand déplacement

Dans le BTP, la réponse est apportée par les conventions collectives des ouvriers (article 8–21 dans le Bâtiment et article 8–10 dans les Travaux Publics) :

« est réputé en grand déplacement l'ouvrier qui travaille sur un chantier métropolitain dont l'éloignement lui interdit–compte tenu des moyens de transport en commun utilisables–de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole, qu'il a déclaré lors de son embauchage et qui figure sur sa lettre d’engagement ».

Par conséquent, si le salarié travaillant sur chantier ne peut pas effectuer à la fin de sa journée de travail le trajet entre le chantier et son domicile par des moyens de transport en commun, il est en situation de grand déplacement.

Cependant, dans le cas où le salarié réaliserait bien le trajet chaque soir et chaque matin entre son domicile et le lieu du chantier, doit-on considérer le salarié comme en grand déplacement et lui octroyer en conséquence une indemnisation ?

Ou bien doit-on considérer le salarié en petit déplacement ?

Les juges ont rappelé que ce qui compte est que le trajet entre le domicile et le chantier ne puisse pas être effectué en transports en commun à la fin de la journée de travail.

Le fait que le salarié dorme sur place ou rentre à son domicile par un moyen autre qu’un transport en commun n’a aucune incidence sur la qualification de grand déplacement.

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation en septembre 2021, l’argument de l’employeur pour refuser de considérer le salarié comme étant en grand déplacement est que les conventions collectives des ouvriers du BTP exigent que le salarié reste à disposition de l’employeur sur les lieux de déplacement.

La Cour de cassation a néanmoins écarté cet argument, se basant uniquement sur l’absence de transport en commun entre le domicile et le lieu effectif de travail pour appliquer le régime du grand déplacement.

II. Le cas du retour à domicile le vendredi en fin de journée

Un autre point a été tranché par la Cour de cassation dans le cadre de cette même affaire.

Un ouvrier du BTP est amené à travailler sur un chantier en grand déplacement.

Il y travaille du lundi au vendredi. Le vendredi, il rentre à son domicile au terme de sa journée de travail. L’employeur doit-il verser à l’ouvrier une indemnité de grand déplacement (IGD) complète ou bien doit-il verser uniquement une indemnité couvrant le repas du midi ?

La pratique, dans cette situation, pour de nombreuses entreprises est de ne verser qu’une indemnité de repas « grand déplacement » au titre du vendredi.

Or ce n’est pas la position de la Cour de cassation, qui octroie au salarié une indemnité de grand déplacement complète, à savoir couvrant les repas quotidiens plus le logement. Avec un montant identique à celui attribué à l’ouvrier pour les autres jours de la semaine.

Le débat juridique tourne ici encore autour de la notion de « mise à disposition de l’employeur », la Cour de cassation considérant que si le salarié travaille toute la journée, cela entraîne le fait que le salarié ait bien été à la disposition de l’employeur sur cette journée.

On peut donc en tirer la conclusion suivante : sont considérés comme à disposition de l’entreprise au regard des textes conventionnels du BTP le salarié travaillant toute une journée sur un chantier en grand déplacement et le salarié restant dormir à proximité du chantier.

II. Le cas du retour à domicile le vendredi en matinée

Ce point est resté non tranché dans l’arrêt du 15 septembre 2021, à savoir le salarié ne travaillant que le matin le vendredi avant de retourner à son domicile après le repas du midi.

La réponse est incertaine dans l’attente de voir la Cour de cassation trancher le sujet. Une interprétation littérale de l’arrêt du 15 septembre 2021 conduirait à octroyer une indemnité forfaitaire complète et non juste une indemnité de repas.

IV. Quelles conséquences pour les employeurs ?

Une entreprise n’accordant pas une Indemnité de Grand Déplacement complète à ses salariés pour la journée du vendredi offrirait ainsi une fenêtre de tir à leurs salariés concernés, qui se verraient octroyer la possibilité de réclamer un rappel d'indemnité pour les chantiers en grand déplacement réalisés sur les trois dernières années.

Cette décision pourrait conduire les entreprises à privilégier un remboursement sur factures ou une prise en charge directe des frais de repas et de logement des ouvriers lors des grands déplacements.

Ce choix emporte toutefois des conséquences en matière sociale pour les ouvriers soumis à la déduction forfaitaire spécifique. Car, contrairement aux indemnités forfaitaires, les remboursements sur factures ou les paiements directs sont à remonter dans l’assiette du brut avant application de l’abattement de 10 %, entraînant une très importante augmentation des charges lors des périodes de grand déplacement.